Carnet de route
LE MASSIF DES ÉCRINS
Sortie : alpinisme, escalade rando dans le Massif des Ecrins du 28/06/2015
Le 08/07/2015 par MORVAN Franck & GUILLERAULT Martin
Souvenirs parcellaires de roches multiples
27 juin - 8 juillet 2015
Galop d'essai et longue course.
Avant le rocher, la neige, bonne le matin. En montant au pic de La Grave, j'ai saisi le mouvement, comment faire glisser les griffes du crampon sur la pente pour trouver la trace. Quel plaisir quand ça marche plusieurs pas de suite, et puis la perdre encore et alors tailler ma trace, lentement, méthodiquement, sans arrêt, à petits pas, rythmés par la respiration, forte quand on vient de la plaine. En trois temps, le piolet, deux pas, longtemps, la sueur coule sans discontinuer. Martin et moi suivant Olivier, guide de haute montagne, avons choisi le pic de La Grave comme objectif pour cette première course.
Au sommet, presque pas de rocher. Une goulotte sinueuse que nous suivons en crampons, gênés par les longues griffes qui crissent sur le rocher. Pas un souffle de vent, un 360 degrés du Ventoux au Mont-Blanc, à conseiller et un et un chocard entreprenant avec qui je partage un fromage.
Trois jours après, au col de la Girose, Olivier nous mouline dans le couloir de relais en relais. Descente du couloir bien plus facile que sa remontée, deux ans plus tôt, quand je ne savais pas prendre la trace. Toujours de la neige, nous avons navigué je ne sais combien de temps, passé un champ de pénitents, terrain accidenté, croisements de jambes acrobatiques, genoux vigilants, rythme décousu, faisable tant qu'on n'est pas fatigué. Parmi ces innombrables petits plots de neige, je ne sais pas si Martin et Olivier twistent, mais moi oui.
Enfin, la voie des Lézards, en chaussons, peu de pente, belle draperie de roche granitique râpeuse. Martin et moi filons à la suite d’Olivier. Nouvelles sensations d'escalade, on ne se pose pas de questions, on ne perd pas de temps, main à plat, le pied tient toujours. Nous montons vite dans une ambiance minérale, fermée, des génépis pour adoucir l'étrangeté du lieu. Les cris d'un chocard résonnent entre les parois. Deux vautours fauves surgissent de nulle part, très haut et disparaissent. Un vent frisquet se lève, des nuages noirs se profilent. Nous redescendons. Dommage, une longueur finale en 5C nous échappe.
Ensuite, longue descente vers le refuge de la Selle. Olivier et Martin sont bien patients et attentionnés et moi bien docile. Interminable descente parmi les rochers, sur un sentier s'éboulant par moments ; en bas, omniprésent le torrent, autour le silence, interrompu par instants par l'écho sourd d'une pierre qui se décroche de la montagne et qui roule longtemps en raclant la falaise en emportant une pluie de petites roches. Pas de pause. Une heure et demie, ça je m'en souviens, pour atteindre le refuge. Au dîner, nos voisins nous emmènent aux Kerguelen et en Polynésie. Agréable.
Le lendemain, départ cinq heures. Chemin identique, dans l'autre sens, plus rapide mais dur. Le champ de pénitents est pénible à repasser quand on a déjà faim. Mais pas de pause. Enfin une pente plus raide mais régulière. Dure quand même. Petits pas. Un bruit feutré au-dessus de nous. Olivier immédiatement nous fait courir latéralement vers la gauche ; c'est relativement facile comparé à l'effort de montée. La corde par chance ne nous entrave pas. Martin et moi avons bien suivi. Quelques roches dévalent et passent sur notre droite dans la neige molle. Un peu de piment et de changement de rythme. Je ne me suis peut-être pas bien rendu compte. Moi, finalement, ça m'a plu.
Reprise de l'ascension, lentement, trace trouvée ou à faire. Au col du Replat, la cordée précédente s'excuse pour l’incident. De mon côté, je pioche sans vergogne excessive dans les madeleines de Martin. Après tout, ça l’allège. Descente pas trop difficile dans une neige qui accroche bien et remontée bien plus lente vers le couloir de la Girose. Les derniers mètres sont épuisants. Et Olivier brouille les espérances en alternant distance restante et mesure en vertical. Enfin le rocher, les crampons dans le sac, le piolet derrière. Du bon granit, enfin, de bonnes prises pour les mains, mais en grosses, le rocher semble bien vertical, avare en repères horizontaux, assez larges pour ces semelles. La première longueur s'avère plus difficile que je ne pensais, me souvenant du Râteau ouest. Olivier, opportunément nous fait troquer les grosses contre les chaussons au premier relais. Cela change tout, le sac est plus lourd et encombrant mais les chaussons se promènent dans ce granit urticant aux formes déchiquetées, empilement de blocs, cheminées, écailles gigantesques artistiquement découpées comme une crinière de dragon, chaos de roches où j'ai pour la première fois l'impression de grimper pieds nus. Les chaussons souples épousent ces reliefs francs au crépi parfait. Martin plus haut grimpe facilement en récupérant le matériel et en me signalant les prises stratégiques. Le rocher semble beaucoup moins vertical et impressionnant. Cela n'empêche pas une belle erreur de placement, due à la peur ou la vitesse. Toujours est-il que mon genou gauche m'a bien équilibré lors d'un passage critique mais est resté désespérément calé. Sortie de ce mauvais pas en pivotant précautionneusement sans pouvoir éviter quelques écorchures. Plus loin, c'est une prise qui s'arrache du rocher, ça déstabilise sur le coup ; même expérience pour Martin avec une pierre de vingt centimètres dans la main. Se souvenir aussi, la dégringolade du sac à un relais, deux mètres seulement par chance ; il n'était pas attaché au baudrier.
Dernière longueur en grosses, facile finalement, comme au Râteau rappelle Olivier.
280 mètres. Bravo au guide d'avoir évalué juste nos capacités, merci à Martin pour son aide indispensable. Debout sur l'ultime rocher, à peu près plat mais pas bien large, un petit vent de côté m'empêche de tendre complètement les genoux bien que je sourie. Je n'ai pas pensé à prendre la pose ; de toute façon, je ne le pouvais pas. La Girose Express était une expérience de grande voie avec sac chargé toute nouvelle. J'avais l'impression de sentir le rocher pieds nus, libre aisance ; mais c'est juste que mon chausson gauche s'est percé durant la montée sans que je ne m'en aperçoive.
J'aurais bien terminé ici le récit idyllique de cette course. J'aurais bien passé sous silence le retour depuis le col de la Girose, moins intéressant ; mais ce tableau idéalisé aurait masqué une part de réalité. Rapidement, au col, nous reprenons les crampons. Nous amorçons d'un pas léger une descente débonnaire, Martin en tête, moi au milieu et Olivier assurant derrière. Bientôt la pente s'accentue. Conseils d'Olivier pour bien attaquer franchement du talon dans la neige molle. Les enjambées augmentent et la neige s'effondre beaucoup avant de se stabiliser sous le pied. Je me retrouve à chaque pas, une jambe tendue enfoncée profondément dans la neige, l'autre jambe pliée au maximum, le pied bloqué très haut. Nouveaux conseils d'Olivier. OK J'assure chaque pas, pas à pas, le piolet planté, comme ça, laborieusement. Pas bien longtemps. Olivier obtempère pour une solution fonctionnelle et radicale. Avec une broche à glace, il me mouline tandis que Martin continue bravement à descendre en tête. Je désescalade plus ou moins, en craignant d'envoyer un coup de crampon à Martin. La pente est raide. Il glisse et Olivier nous retient tous les deux. Il nous mouline pendant que nous ne gérons plus grand-chose de notre descente. Une broche à glace dans la neige crémeuse. Seul conscient du danger, Olivier engueule Martin. Passage de la rimaye. Nous posons le pied sur le glacier. Olivier râle toujours. Pour relativiser l'engueulade, je lui rappelle qu'au même endroit, deux ans plus tôt, il m'avait tancé parce que je descendais mal déjà, trop timoré. Mon amour-propre en avait pris un coup. Accès d'humeur justifié, vexation logique. Se souvenir qu'il faut rester sur ses appuis dans tous les cas et ne pas être passif.
Sur la terrasse, près du téléphérique, l'incident est clos. Notre trio va bientôt se séparer après une course globalement réussie, variée, juste. Une phrase d'Olivier me réconforte, quand je pensais avoir vraiment trop peiné par moments, en me disant que, lors d'une course d'alpi, il est nécessaire de donner le meilleur de soi-même.
Préliminaires. Une semaine à La Grave pendant que tout le monde attend que la montagne s'écroule sur le tunnel de Chambon.
Premier jour, mise en jambes du Chazelet au plateau d'Amparis. 600 mètres de dénivelée, raisonnable. Rapidement, les arbres ont la taille de buissons, puis nous déambulons sur un chemin serpentant entre les herbes. Ensuite, la rocaille et une herbe rase. L'ascension est ponctuée de haltes itératives. Nicole et Martin se penchent, observent, comparent, déterminent et photographient quantités de gentianes jaunes, bleues, ponctuées, acaules et encore d'autres bien moins courantes. Premières marmottes aussi. Enfin, le plateau, le glauque lac Lérié. Nous continuons, longeant la falaise sur un large chemin. Plus haut, les premières edelweiss, petites, chétives mais si rares et délicates. Fin de l'ascension au bord de l'étincelant lac Noir encadré de terrasses naturelles déterminées par des murets de plaques de schiste obliques séparant les pelouses en gradins successifs. Baignade possible en se méfiant des dalles de schiste glissantes et coupantes. Retour en laissant au-dessus de nous un groupe de chocards, symboles de la haute montagne.
Deuxième jour, après les jambes, au tour des bras, dans la via ferrata d'Arsine. Facile, homogène, relativement verticale. Une heure et demie. Une demi-heure de descente beaucoup plus incertaine et chaotique.
A noter les bains de Monetier, de 40 à 17 degrés, très sympa. A tester après quelques jours de montagne.
Une grande voie inespérée.
Le cinquième jour, Martin et moi nous rendons auprès des voies d'escalade proches de la cascade du Saut de la Pucelle. Martin, ayant récupéré un topo, propose d'emblée de se lancer dans la voie de l'arête de la cascade, ouverte par Pierre Matonet, et gravie deux ans plus tôt par Etienne et Thomas. Bien. Pourquoi pas ? 6 longueurs, 5B max. Beau rocher aux reliefs saillants et géométriques. Première longueur plutôt verticale, pas si évidente. Longueurs suivantes, plus faciles, longeant l'arête. Beaucoup plus long que prévu. C'est déjà l'après-midi.
Avant-dernière longueur. Martin est parti depuis un moment, la corde monte régulièrement. Il ne m'en reste que quatre ou cinq replis sur les pieds. Elle monte encore en toronnant. Et héhé, je suis en bout de corde... Elle se tend un peu, se relâche et je ne sens pas les trois coups secs convenus. J'attends. Je réfléchis, j'imagine, je psychote.
Il ne doit pas avoir atteint le relais, il est en bout de corde et ne peut plus ni monter ni descendre... Le temps passe. Je me décide. Je vais lui donner de la corde en montant déjà au premier spit. Je me dé-vache et entame lentement cette cinquième longueur. Bonne surprise, la corde monte aussi. Elle monterait même plus vite que moi. Martin devait être au relais depuis un sacré bout de temps. Alors je grimpe, je grimpe. Je l'appelle. Jamais de réponse.
Enfin, je débouche près du relais où Martin m'attend, l'œil noir, cramant face au soleil. Il tasonnait là depuis un certain temps. L'excès de tirage explique le malentendu.
Bref, maintenant, Martin s'inquiète pour la dernière longueur en 5B. Il repart avec appréhension ; grimpe une dizaine de mètres et aperçoit avec soulagement le dernier relais assez proche. Il franchit le pas de 5B avec l'esprit montagne, en le contournant.
La sortie de la voie est malaisée. Nous pataugeons sur un tas de pièces d'or qui s'effondre sous nos pieds. Quelques spits judicieux jalonnent heureusement la vire. Ensuite, c'est sans souci. En bas, Martin sort de sa poche un beau quartz facetté extrait de l'arête.
Entreprendre cette grande voie n'était sans doute pas raisonnable. Cependant, j'ai aimé ce style de roche et quel plaisir de grimper libre, seul entre chaque relais.
Débuts du camp d'été à Ailesfroide.
Nicole et moi retrouvons Danie, Xavier, Thierry et Martin dans ce sanctuaire de l'escalade protégée par ses murailles.
De la dalle, rien que de la dalle. J'étais pourtant prévenu.
Premier jour, Xavier nous conduit sur des voies d'école, normal pour un instit. Au pied de la voie, pour le premier pas, je tente vainement de trouver des prises pour les mains, essuyant soigneusement la paroi. Rien. Je sens bien des pieds mais pas de mains. Faire confiance dans ses pieds, ça vient. La voie des Lézards était un bon apprentissage. De bossette en bossette, je monte droit dans la pente. Quel style. Je me fais l'effet d'un bouffon, avançant comme un crapaud multipliant les pieds-mains. Je saisis certains aspects de cette escalade inhabituelle en Berry. Crocheter les bossettes du bout du chausson, transférer les appuis des pieds vers les paumes, du bassin vers l'épaule et aller vite. En tête, les spits étant éloignés, l'engagement est inévitable. Deux maillons rapides restent sur la falaise.
Deuxième jour, partis pour une grande voie, Orage d'étoiles, 300 mètres en perspective. Approche longue, finissant en escalade. Deux cordées, Xavier en tête, Danie et moi en seconds ; Thierry et Martin en réversible. Beaucoup de dalle, toujours de l'engagement en tête. Les longueurs s'enchaînent. Sacs de nœuds aux relais et mikado de vaches. Peau de banane lancée sur nos poursuivants. Sur l'écran plat de la paroi, un graton est une aubaine, une fissure un cadeau et une écaille une hallucination. Les ongles cherchent à devenir des griffes. Les pieds supportent leur mal en patience. Réunis au relais, Danie et moi passons le temps comme nous pouvons, suspendus à la progression de Xavier. Le tas de cordes à cheval sur les pieds, Danie aimerait bien pouvoir les bouger un peu. De leur côté, mes pieds se livrent une concurrence acharnée en se soulageant alternativement aux dépens de l'autre. Aussi nous bavardons et quand la douleur s'invite brusquement, je suis surpris de constater que j'avais oublié mes pieds pendant quelques instants. Réflexologie plantaire puissance dix. Nous repartons rejoindre notre tyrannique leader armés de notre non moins despotique volonté. Martin et Xavier n'ont pas compté le même nombre de longueurs dans le topo. C'est possible, ça ? Néanmoins, cela creuse une petite brèche dans le moral. J'entends un accenteur, j'espère au moins que c'est un accenteur alpin.
Ah, c'est tout plat par ici, pas de bossettes, pas le moindre petit graton ; des rainures verticales, deux, trois stries plutôt et Xavier est vraiment passé là ? Ce passage, au lieu de nous booster une fois franchi, entame la confiance et l'assurance de réussir les pas suivants. Les pieds ne sont plus bons à rien. A l'issue de la huitième longueur, nous déclarons tous forfait. Trois heures de l'après-midi, nous n'avons pas retiré nos patins depuis plus de cinq heures. Pas mangé grand-chose non plus. Mes chaussures de marche sont au pied de la voie, alors je reste encore un peu en chaussons. Les rappels se succèdent. C'est distrayant. Nouage de mâchard conforme, validé par Danie, dénouage de mâchard sagouiné ou trop serré ; retrait des cordes de rappel du descendeur, cordes en tension, nœud gordien, cordes lâches, davantage possible mais attention à ne pas faire tomber son descendeur. Une manœuvre orthodoxe existe, son étude est reportée. Corde rouge, corde bleue, nœud de neuf, sur laquelle cette fois, il faut tirer la bonne, pas de problème, rien à dire. Fin de rappel presque dans mes chaussures. Mais ce n'est pas pour autant fini. Une moulinette, de la prudence et des gardes-du-corps sont encore nécessaires pour que je redescende sur terre.
Nous n'avons pas accroché Orage d'étoiles, à cause des chaussons sans doute. Mais le camp n'est pas fini, il faut en garder sous la semelle.
Enfin, attablés autour de bonnes bières, Martin sort de ses poches et nous montre un tas de pierres récupérées en bas de la voie.
Epilobe.
A la nuit tombée, après un excellent barbecue préparé par les dignes descendants de néandertaliens Xavier, Thierry et Martin, nous remontons vers l'hôtel. Depuis la route, nous sommes intrigués par un ballet de frontales sur la paroi en face. Sur la terrasse aussi, tout le monde observe les petites lumières qui dessinent de frénétiques idéogrammes. On suppute. On s'interroge. La gendarmerie s'en mêle. On détermine pour finir que ces signaux ne sont pas destinés à notre intention mais qu'il s'agit de grimpeurs attardés cherchant désespérément un relais. Les braves gendarmes pleins d'abnégation vont aller au pied de la falaise pour tenter de communiquer avec ces petits crétins. Pour leur part, les quelques locaux présents déclarent, blasés, que, la nuit n'étant pas froide, ces grimpeurs ne risquent rien. Ils vont juste passer une courte nuit inconfortable, accrochés contre la paroi. D'autres fadas l'ont déjà fait.
Le lendemain matin, personne n'en parle. Les grimpeurs nyctalopes ont dû descendre discrètement dès l'aube et aller se coucher sur du plat.
Franck Morvan


